Cette intervention se propose d’investir Le Carreaude cergy d’un LAPS de deux mois.
A l’initiative de Djeff et Fanny Serain, se voit réuni un choix d’artistes sélectionnés pour le goût qu’ils portent à cette question du temps intermédiaire. De manière obsessionnelle ou seulement passagère dans son travail, chacun évoque à sa manière, et dans la diversité des médiums qu’ils explorent et représentent, les possibles interprétations du ou d’un LAPS. Vécu, observé, entendu, rapporté, tous donnent à expérimenter leur partie d’une définition.
Sans prétendre au panorama exhaustif, ni à la narration, c’est ici une sélection de visions, de cadrages, d’instants choisis qui tentent d’approcher, d’appréhender ce moment indéfinissable, ce blanc entre eux espaces tangibles ou allégoriques mais indubitablement apparenté au réel.
En contrepoint, un catalogue présentera les oeuvres et artistes, assorties d’un spicilège élargissant le champ des possibles, mêlant définitions des ouvrages de linguistiques, textes historiques et regards suggestifs de contributeurs, écrivains ou non, qui se prêteront à une interprétation personnelle de ce terme étrange, ses réalités, ses évocations et ses glissements.
1. Laps. [laps] n.m. – 1266 ; lat. lapsus « écoulement, cours » : de labi, « glisser, couler »
Laps de temps : intervalle de temps.2. Laps, lapse. [laps] adj. – 1314; lat. lapsus « qui est tombé » : p.p. de labi « glisser, tomber »
Intervalle [~eterval] n.m. – XIIIè ; entreval, XXIIè, lat. intervallum ; 1. Distance d’un point à un autre, d’un objet à un autre. 2. (1629) MUS. Ecart entre deux sons, mesuré par le rapport de leur fréquence. 3. Espace de temps qui sépare deux époques, deux dates, deux faits. 4. MATH. Ensemble des nombres compris entre deux nombres donnés.
LAPS : UNE CONJONCTION DE COORDINATION ET DE JUXTAPOSITION
Si un laps est une mesure individuelle…
Un laps parle à chaque individu en tant qu’intervalle entre deux éléments. Notion d’unité de temps identifiée et identifiable, il est perçu de tous, pourtant de manière personnelle, selon des critères variables qui diffèreront en fonction de l’échelle à laquelle il renvoie : le temps calculé -minutes, secondes, heures-, la ponctuation quotidienne –hier, aujourd’hui, demain-, les dimensions concevables mais peu mesurables – l’histoire et l’Histoire-, les époques de la vie – enfance, adolescence… – et ce dont elle se construit – souvenirs, projets-. La mesure du laps n’existe là que dans la manière de chacun de vivre et d’exprimer le temps, son temps, et se définit en tant que mesure indéterminée scientifiquement mais dont l’étalon est la proprioperception.
… un laps reste toutefois une unité commune.
Si le laps n’a pas de référent fini, il n’en reste pas moins une mesure pourtant clairement partagée et compréhensible de tous, non plus établi sur un ordre de la proportion chiffrée que celui d’une définition collective du vécu. Le laps devient unité de mesure non mesurable, défini par tous dans le sentiment d’être dans un entre-deux, un espace de temps interstitiel, une parenthèse choisie ou subie, une compression du temps filant ou une respiration souhaitée ou inattendue. Synonyme de superpositions des temps, il dessine les dimensions plastiques et élastiques que peut prendre la perception du temps. Sa lecture se fait par strates. On peut les envisager successives, dans une coordination d’éléments où ce laps « à l’horizontal » rejoindrait les minutes du quotidien entre elles aussi bien que l’écart qui sépare le fait du souvenir. Inversement, on peut choisir de lire ces couches de temps comme superposées, dans la simultanéité des faits et de l’espace qui les lient où un laps « à la verticale » s’attacherait à articuler l’histoire aux histoires, à l’Histoire.
LAPS : UN ETAT DE TRANSITION
Un laps oscille quelque part entre la conscience et l’inconscience du temps…
De la multiplicité de ses interprétations, l’étymologie du mot-même transparaît, car dans tout noeud ou charnière se niche le basculement, le passage d’un état à un autre, d’un fait à un autre, d’un point à un autre. Etrangement, le laps n’est perceptible que par l’expérience passée ou dans l’anticipation. Il est connu a posteriori et prévu a priori. Le laps ne semble pas se conjuguer au présent. Son identification est différée – après l’avoir vécue – ou se prévoit sans certitude – avant de le vivre, dans la projection de l’organisation d’un futur proche. Outil d’analyse d’une expérience forcément posthume, vécu sans conscience dans l’instant, le laps s’extraie de l’ici et maintenant, associant la légèreté du flottement et la pesanteur du temps qui s’écoule.
….et pourtant s’attèle à organiser un temps programmé.
Bien que sans quantification exacte, cet entre-deux ramené au temps et à l’espace rationnalisés et organisés trouvent des transpositions formellement et rythmiquement. On pourrait envisager la pause musicale, la virgule d’un texte, la salle d’attente, le couloir reliant deux pièces comme autant de traductions du laps, comme autant de motifs possibles. Temps et espaces se voient intrinsèquement associés dans un laps, comme l’induisent les mots de sa définition, et force sa gestion de l’espace physique et son interprétation en codes visuels. Si le laps n’est pas prévisible, il nécessite cependant d’être prévu car possible à tout moment.
Finalement si l’idée du laps parait inépuisable et fascine tant, c’est probablement parce qu’il se dessine dans une succession de contours flous où s’opère un jeu de glissement entre les temps, les espaces, sorte de litote suggérant la polymorphie du temps, métonymie de la condition et la contingence d’être humain.
Lapsus. [laps] n.m. – 1833 ; lat. lapsus linguae, lapsus calami « faux pas de la langue, de la plume ». Emploi involontaire d’un mot pour un autre.
Djeff et Fanny Serain, Curateurs.